La forge au Moyen Age

Le Moyen Age s’étend de 500 à 1500 de notre ère. Pendant ce temps le travail du forgeron n’avait guère changé malgré un développement énorme du savoir, du matériel et de la technique. Comme les artisans de ces temps-là ne disposaient pas de machines, leurs outils étaient très spécialisés, et c’était surtout le forgeron qui les produisait. Pour la recherche des formes et de l’usage de ces outils on a besoin de l’archéologie, mais aussi il est nécessaire de travailler avec les moyens et les méthodes qu’on avait à cette époque-là (ce que l’on appelle l’archéologie expérimentale).

Ce sont l’essai et la pratique qui nous enseignent, car il n’y a plus personne pour nous démontrer comment écorcer un jeune chêne pour récolter les écorces pour le tanneur, par exemple.

Le même principe s’applique aux travaux du forgeron. Ses outils étant simples et efficaces, il était capable au moment où il avait l’occasion de se procurer une enclume (au début du Moyen Age un relativement petit bloc de fer), une pince et un marteau, de produire tous ses outils par lui-même, et bien sûr des couteaux et des outils pour ses clients.
Une spécialisation se formait dans le cours du temps, car les besoins des clients variaient considérablement. Il y avait les paysans avec leurs outils d’agriculture, les chevaliers et guerriers/soldats avec leurs armes blanches, les chasseurs, tous les artisans avec leurs outils très spécialisés, les artistes aussi bien que les médecins avec leurs instruments très fins.

Si on veut suivre les traces de nos ancêtres forgerons, il faut s’imaginer les conditions de leur travail. Le fer et l’acier (un alliage de fer avec du carbone), étaient précieux et l’idée actuelle de recyclage était implicite dans la forge. On ne jetait aucun morceau de fer dans la poubelle, mais on assemblait tout ce qui fut coupé pendant le travail, toutes les chutes de métal. Dans le feu on soudait tous les morceaux dans un seul bloc et en forgeant, pliant et ressoudant on arrivait à l’homogénéiser.

C’était d’ailleurs le même travail que celui qui suivait la production du fer dans les bas-fourneaux. Après le processus de réduction du minerai avec le charbon, on sortait une gueuse du fourneau. Celle-ci était coupée en morceaux maniables et chauffée à nouveau pour l’homogénéiser comme décrit ci-dessus. Tout cela était un travail dur et long pour obtenir un fer souple et malléable, ce qui explique la valeur du métal.

Déjà à l’âge de fer et chez les Celtes on avait aperçu que dans ce processus, des structures apparaissaient à la surface de l’acier, encore mieux visibles après un traitement à l’eau forte. Il s’agissait de différents alliages causés par des petites différences de la teneur en carbone et la présence d’autres éléments constitutifs qui donnaient un contraste. Dans le fer, c’était surtout le phosphore, qui d’ailleurs est nuisible dans l’acier.

Au début du Moyen Age les forgerons (surtout les Vikings) apprenaient à  combiner les alliages des aciers pour obtenir une structure contrôlée et régulière formant un décor/ornement. Les épées avec soudure multi-barreaux dont on a découvert quelques exemplaires dans les tombeaux des Vikings en Angleterre et en Scandinavie, sont fameuses pour leur beauté et le travail artistique des forgerons. Ainsi la nécessité d’homogénéiser l’acier menait à la production du damas.

Malgré ces difficultés dans la production de l’acier, les capacités artisanales du forgeron médiéval étaient bien au-dessus de ce que l’on s’attend aujourd’hui de ces siècles de ténèbres. Au contraire, les produits de la forge étaient très élaborés et au forgeron de nos jours, même pas capable de copier ces œuvres, il ne reste que l’admiration muette. Bien sûr cette qualité supérieure ne se trouvait pas dans les outils simples du paysan.

Mais les capacités du forgeron se développaient selon ses tâches et selon son éducation, évidemment. Une épée de haute qualité, peut-être destinée à un chevalier noble, demandait du matériel supérieur, beaucoup de temps de fabrication, mais aussi des capacités spéciales que le forgeron atteignait avec l’expérience. Il faut s’imaginer que la vie d’un guerrier dépendait des ses armes. Une faillite – une épée cassée – représentait non seulement la perte d’un client du forgeron mais aussi une mauvaise réputation. Comme la seule publicité était la recommandation des clients, on peut s’imaginer l’importance de la qualité.

Les forgerons de nos jours ne sont plus responsables de la vie ou de la mort de leurs clients, mais c’est à regretter car cette responsabilité pour la meilleure qualité possible était une motivation et une exigence permanente aidant à maintenir un très haut niveau de travail.
Une visite dans un musée nous enseigne qu’il n’y a rien de rude ou de brut dans les produits de la forge médiévale. Même les outils de l’artisan, malgré le fait qu’ìls n’étaient que rarement décorés à l’exception d’un poinçon, ont une beauté et élégance qui se dérivent de la fonction simple.

Le mouvement de “retour” du Moyen Age représente, à mon avis, aussi un recueillement à un travail calme, conscient et sincère, sans se soumettre trop à l’horloge.

Jean Collin

Mars 2010